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Moetai Brotherson : « La politique assimilationniste de la France est de n’avoir qu’un seul peuple terne et gris »
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Moetai Brotherson : « La politique assimilationniste de la France est de n’avoir qu’un seul peuple terne et gris »


Calvi

Par

Le 08 Août 2018


- L’indépendance de la Polynésie, est-ce juste un rêve ou un objectif à atteindre ?
- Pour nous, c’est un objectif, un processus à construire que l’on ne peut pas précipiter. Nous sommes conscients que plus le temps passe, plus c’est difficile. Plutôt que de cultiver les différentes couleurs de l’arc-en-ciel, la politique assimilationniste de la République française est là pour gommer toutes les différences et n’avoir qu’un seul peuple un peu terne et gris !

- Pourtant, n’est-ce pas un vieux combat qui remonte à l’annexion de l’archipel par la France ?
- Oui ! Nous avons été annexé le 29 juin 1880. Avant l’annexion, il y a eu les années dites « du protectorat » pendant lesquelles ont eu lieu les guerres franco-tahitiennes. Cette colonisation ne s’est pas faite dans la joie et la bonne humeur ! Elle s’est faite par les armes et le sang. Depuis 1880, nous sommes une colonie française.

- Comment expliquez-vous que plus d’un siècle après, des Polynésiens, à l’instar de kanaks ou de Corses, rejettent toujours le fait d’être français ?
- Dans le combat du Tavini Huiraatira qui est mon combat, il ne s’agit pas de rejeter la France. Je n’ai rien contre la France qui est une grande nation. Je n’ai rien contre le peuple français qui est un grand peuple. Ce qui me pose problème, c’est l’Etat français. C’est cet appareil politique qui maintient une situation coloniale tout en se défendant d’être toujours colonialiste ! Plutôt que de parler de rejet de la France, je préfère parler de la résilience du peuple Maohi. C’est un peuple qui ne s’est jamais résigné à cesser d’exister en tant que lui-même. Nos ancêtres n’ont jamais accepté d’aliéner leur droit à l’indépendance, à l’autodétermination, et nous poursuivons ce combat.

- Comment s’exprime cette situation coloniale ?
- Nous avons avec la Corse des problématiques similaires. Par exemple, les langues polynésiennes ne sont pas officielles en Polynésie. Le peuple, qui a accueilli les premiers arrivants européens, avait déjà des langues, des Dieux, une culture, une organisation sociale… Il était là depuis 1500 ans. Donc, il y avait un peuple et une nation Maohi. C’est cela que la France essaye de faire oublier ! Elle a enseigné, pas à ma génération, mais à celle de mes parents, comme je suppose en Corse à une époque : « Nos ancêtres les Gaulois ». Bon !
- La Polynésie française est, de nouveau, inscrite sur la liste de l’ONU des territoires non autonomes à décoloniser. Est-ce un pas important ?
- Tout à fait ! En 1945, lors de la création des Nations-Unies, les grandes nations, qui ont présidé à la création de cet organisme, se sont réunies pour réfléchir sur les causes de la 2ème guerre mondiale et éviter qu’il y en ait une 3ème. Parmi les causes qu’elles ont identifiées, il y avait l’impérialisme. Ces espèces d’empires coloniaux, que les uns et les autres se disputaient à leurs bordures, ont été un des facteurs déterminants de la guerre. S’en est suivi l’insertion dans l’ADN même des Nations-Unies de cette mission de décolonisation qui est inscrite dans la Charte onusienne. La France, qui est quand même un membre fondateur des Nations-Unies, a signé cette Charte et, donc, validé cette mission sacrée des grandes puissances coloniales d’amener les peuples, dont ils ont la charge, à leur pleine souveraineté. La Polynésie a figuré avec la Kanaky et d’autres possessions françaises sur la liste initiale de 1946 et en a été retirée en 1963.

- Pourquoi ?
- Pour qu’il n’y ait pas d’obstacle international à l’établissement chez nous du Centre d’expérimentation nucléaire du Pacifique. Cette désinscription est une manœuvre française en coulisses, complètement illégale parce qu’une décision de l’Assemblée générale doit, normalement, être défaite par l’Assemblée générale. Or, cette désinscription s’est faite dans un bureau. La Kanaky a, aussi, été retirée de cette liste. Nos leaders respectifs, Jean-Marie Tjibaou et Oscar Temaru, ont lutté ensemble depuis 1978 pour que la Kanaky et la Polynésie soient réinscrites sur la liste. En 1986, la Kanaky a été réinscrite. Pour nous, il a fallu attendre 2013.

- Qu’attendez-vous de cette réinscription ?
- Beaucoup de choses ! A l’époque du combat contre le nucléaire, nous nous sommes rendus compte qu’il fallait internationaliser le débat. Sans appuis internationaux, nous étions trop petits. C’était le pot de terre contre le pot de fer, David contre Goliath… Les analogies ne manquent pas. Cette stratégie, que nous avons appliquée à l’époque pour le nucléaire, nous l’adoptons pour l’indépendance. La France a essayé, à un moment donné, de nous enfermer dans un débat bilatéral. Mais, depuis le début, nous disons que ce n’est pas possible d’engager un processus d’autodétermination bilatéral parce que le colonisateur ne peut pas être l’arbitre du processus de colonisation ! Il faut un arbitre externe, impartial, dont c’est la nature. Il y en a un tout désigné : les Nations-Unies qui ont été créées en partie pour cela et qui ont, en leur sein, un comité spécial de décolonisation. La 4ème Commission s’occupe des questions d’accession à l’indépendance.

- Est-ce possible d’obtenir son appui ?
- Oui ! C’est vraiment une des fonctions de l’ONU dans le cadre de ses missions de maintien de la paix que d’assurer ces processus d’autodétermination. Mon frère de Kanaky, dans son intervention, a cité les Nations-Unies dans le cadre du processus kanak. Les Nations-Unies y ont envoyé 5 missions de visites qui ont, à chaque fois, soulevé des points d’achoppement dans le processus qui mène au référendum de novembre. Elles ont fait des remarques à la France en disant : « Il faut corriger ceci, ce point-là ne va pas… ». C’est toute l’importance d’avoir, dans un processus de décolonisation, un arbitre externe, neutre et indiscutable comme les Nations-Unies. Si on s’enferme dans une discussion bilatérale, les jeux sont faussés dès le départ.

- La France réagit-elle toujours aussi mal à votre réinscription ? Vous dites qu’elle s’est engluée « dans une posture de déni schizophrénique ».
- Oui ! Complètement ! Aujourd’hui, la France a deux territoires réinscrits sur cette liste de l’ONU. Elle reconnaît la réinscription de la Kanaky, mais ne reconnaît pas la réinscription de la Polynésie. On est dans une situation complètement ubuesque ! Quand le sujet de la Nouvelle-Calédonie est abordé à l’ONU, la délégation française et le représentant permanent de la France restent dans la salle et écoutent. Dès que l’on aborde la question de la Polynésie, ils sortent. Dès qu’on a fini d’examiner notre question, ils reviennent dans la salle. Nos deux territoires ont été réinscrits avec les mêmes règles, en se basant sur les mêmes lois internationales, avec le même mandat initial des populations locales pour entamer ce processus de réinscription. Dans notre cas, la France est dans une posture de déni. C’est de la schizophrénie totale !

- Quelles sont les raisons de ce déni ?
- Je pense que la France veut éviter la contagion. Jusqu’en 2013, elle n’avait qu’un seul territoire réinscrit. Elle avait réussi à ramener un peu le débat dans un contexte bilatéral avec les Accords de Matignon et de Nouméa. Du moins le pensait-elle ! Aujourd’hui, elle a deux territoires inscrits. Elle se dit que si elle laisse faire les choses, demain les Corses et d’autres colonies voudront être réinscrits. Cette posture de déni est très inconfortable pour la France parce que le reste des pays de l’ONU la voient comme une insulte ! Qu’un des cinq grands pays de l’ONU, membre fondateur, ne respecte pas les règles qu’il veut imposer à tous les autres, c’est manquer de respect aux Nations-Unies !

- Quel est l’intérêt de la France de conserver ces territoires qui veulent recouvrer leur liberté ?
- Chaque territoire a sa spécificité et son intérêt pour le Grand plan républicain français. Je ne peux pas m’exprimer au nom des Corses, mais il suffit de regarder une carte de la Méditerranée pour comprendre l’intérêt de la France de conserver la Corse dans son giron. Concernant la Polynésie, il faut déjà se rendre compte de l’étendue de notre territoire. Si on superpose la carte de l’Europe avec celle de la Polynésie en plaçant Paris sur l’île de Tahiti, on se rend compte que l’île la plus au Nord de la Polynésie serait à Stockholm, l’île la plus à l’Ouest serait à Lisbonne, l’île la plus à l’Est serait du côté de la Sicile… cela donne une idée de l’étendue de la Polynésie ! Depuis un an que je suis député, je n’ai de cesse d’entendre les uns et les autres gloser sur le fait que la France possède le 2ème domaine maritime mondial. Il faudrait qu’ils poursuivent la phrase jusqu’à son terme et dire que 44% de ce domaine maritime, c’est la Polynésie. Avec la Calédonie, c’est 67%. Si on rajoute les autres territoires d’Outre-Mer, c’est 98% du territoire maritime de la France qui se situe outre-mer. Sans les Outre-Mer, la France n’aurait que le 47ème domaine maritime mondial. Une fois qu’on a dit cela, on a déjà dit beaucoup de choses !

- Est-ce le seul intérêt ?
- Non ! Il y a aussi les ressources minières. En Calédonie, c’est le nickel. C’est un minerai important qui entre dans la fabrication de très nombreux objets technologiques. En Polynésie, depuis des années, les recherches démontrent qu’il y a, au fond de l’Océan Pacifique, d’énormes réserves de minerais à haute valeur ajoutée, dont des matières premières stratégiques utilisées dans l’armement, le nucléaire et les technologies de pointe.

- La Polynésie n’est-elle pas aussi un endroit géostratégique majeur ?
- Complètement ! Si vous regardez l’équilibre économique et même militaire aujourd’hui, la zone Pacifique est essentielle. Il y a la Chine, les BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), les pays d’Amérique du Sud… La Polynésie se trouve au beau milieu entre les plaques asiatiques et américaines.

- Le référendum d’autodétermination, qui aura lieu le 4 novembre en Nouvelle Calédonie, fait-il figure de test pour tous les Indépendantistes d’Outre-Mer ?
- Tous les Outre-Mer, qui ont des volontés d’émancipation, observent attentivement le processus calédonien et l’issue du référendum. Les premiers intéressés sont évidemment les Calédoniens, c’est à eux que revient la décision. Il faut savoir que si le Non l’emporte, deux autres référendums sont planifiés. Ce ne serait pas la fin complète du processus, mais ce serait un indicateur de tendance. Pour nous, c’est un observatoire par rapport à l’arbitrage de l’ONU, par rapport au comportement de la France dans un processus de décolonisation concret. Nous en tirerons toutes les leçons qu’il y a à tirer pour que lorsque viendra notre tour de planifier un processus similaire avec un référendum, nous essayons de ne pas faire les erreurs et d’améliorer ce qui peut l’être.

- Vous êtes député et, comme les députés corses, vous vous heurtez à des murs. N’avez-vous pas le sentiment de vous battre pour rien ?
- Ah ! Aussi bien mes amis corses que moi-même, nous avons l’habitude de nous battre contre des murs, mais nous ne renonçons pas ! C’est un combat où il faut être obstiné, mais c’est vrai que, parfois, c’est un peu frustrant. Nous avançons des arguments de raison, de bon sens, des arguments juridiques qui sont balayés d’un revers de main politicienne. Il y a beaucoup de mauvaise foi ! Les mêmes gens qui en tribune font des effets de manche au nom des grands principes républicains, quand on les rencontre dans les couloirs, nous disent : « Vous avez raison, mais on ne peut pas le dire, on ne peut pas accepter cela ! ». C’est frustrant, mais ce n’est pas grave, cela fait partie du mandat. Nous continuerons à nous battre jusqu’au bout !

Propos recueillis par Nicole MARI.
 



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