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Saveriu Luciani : « La Corse doit relever le défi de l’Eau, du Cap Corse à Bunifaziu »
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Saveriu Luciani : « La Corse doit relever le défi de l’Eau, du Cap Corse à Bunifaziu »


Calvi

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Le 19 Mars 2018


- Quel est, aujourd’hui, l’état de la ressource hydrique en Corse ?
- À quelques jours de la journée mondiale de l’eau, le 22 mars, je crois essentiel et opportun de faire un point général sur cet enjeu qu’est l’eau au cœur du développement durable dans une île où il est désormais bien identifié par le peuple corse. Le mois écoulé a été déterminant en termes de recharge de stockage. Globalement, concernant les ouvrages de l’OEHC, le volume de stockage dépasse 88%, soit près de 40 millions de m3 sur une capacité maximale de 45 millions de m3. Ce taux de remplissage est sensiblement égal à celui de l’an dernier à la même époque, avec juste 2 points d’écarts. Il est, pour nous, aujourd’hui satisfaisant. Cependant, il importe de rester vigilant, car la consommation est en constante augmentation sur tous les territoires.

- Ce remplissage est-il homogène ou y-a-t-il des disparités ?
- Il y a, bien entendu, des disparités entre le Nord et le Sud. Les trois barrages du Sud – Ortolu, U Spidali et Figari – affichent 100% de remplissage. Les barrages stratégiques de Padula dans le Nebbiu - près de 2 millions de m3 - et d’E Cotule en Balagna – 6,4 millions de m3 - sont également pleins. Les grandes réserves de la Plaine Orientale – Alzitone, Bacciana, Teppe Rosse et Peri – sont en phase de remplissage, certaines sont déjà pleines. Restaient jusqu’à peu deux points de vigilance : le barrage d’Alisgiani et la réserve de Stullone dans le Cap Corse. Alisgiani, qui est le plus grand barrage de l’Office, contient 10,5 millions de m3. En janvier, il n’avait recueilli que 2,7 millions de m3, nous l’avions neutralisé pour qu’il puisse se remplir. Aujourd’hui, il frôle les 9 millions de m3. En l’espace de 4 semaines, il a atteint quasiment la capacité de remplissage de l’an dernier.

- Quel est le problème ?
- Ce barrage, qui est au cœur de la Plaine Orientale, commande un réseau hydraulique d’ampleur, alimentant par exemple la réserve basse de Peri qui est une sécurité pour les zones du Sud de la Plaine Orientale. S’il était resté vide, cela nous aurait plongé dans une crise aigüe. Par mesure conservatoire, nous avons transféré ces dernières semaines de l’eau du Golu vers Peri pour soulager Alisgiani. Pour autant, ce dernier n’est pas encore totalement rempli. Sur un plan plus général, il faut savoir que l’an dernier, malgré les réserves importantes, le manteau neigeux a fondu beaucoup plus vite que prévu à cause de températures de 3 à 4° C au-dessus des normales saisonnières. Il peut, cette année, disparaître de la même manière. Avec le réchauffement climatique, un manteau neigeux conséquent ne nous donne donc plus de sécurité pour l’été.

- Rien n’est, donc, encore gagné ?
- Non ! Il faut absolument rester très prudent et agir de manière responsable. Un parc d’ouvrages hydrauliques pleins ne signifie plus que l’on puisse gérer l’eau comme il y a dix ans. Depuis deux ans, nous avons mis en œuvre une campagne de sensibilisation, organisé des échanges avec toutes les filières agricoles pour construire un processus de rationalisation de la gestion de la ressource. Ainsi, aujourd’hui, nous pouvons espérer une saison d’irrigation estivale normale, une distribution d’eau potable dans les zones du Sud-Est et en Balagna notamment, sans craindre une rupture d’alimentation, si tant est que tout le monde – les agriculteurs, les collectivités et les particuliers - joue le jeu et respecte les règles.

- Les gros usagers, agriculteurs et collectivités, jouent-ils vraiment le jeu ?
- Oui, en grande majorité. Cela a permis, l’an dernier, d’assurer l’irrigation agricole sur toute l’amplitude mars-novembre, pour toutes les filières, des fourrages jusqu’à l’agrumiculture. C’est important ! Le même challenge se pose cette année. Nous avons déjà rencontré les filières afin de mettre en place une charte des bonnes pratiques entre elles et au sein de chacune d’elles. Avec l’ODARC (Office de développement agricole et rural de la Corse), nous avons engagé une interaction très positive avec le monde agricole qui prend conscience des dérèglements climatiques et des changements qui s’opèrent. Tout un chacun comprend qu’il y a un défi à relever : il est collectif et requiert un engagement au service de la préservation et de la gestion de la ressource hydrique, sachant qu’elle est épuisable. Côté collectivités, l’attention reste de mise dans les zones de forte fréquentation touristique.
- La situation du Cap Corse est-elle toujours aussi critique ?
- Oui ! C’est une des quatre grandes régions vulnérables, selon le constat du Plan de bassin, avec l’Extrême-Sud, la Balagna, une partie de la Plaine orientale, et surtout le Grand Bastia. Le Cap Corse est une presqu’île qui n’a pas de montagne aussi haute que celles du Niolu. Comme ailleurs en Corse, il y pleut mal, à la fois dans le temps et dans l’espace. C’est dans ce contexte que la région de Ruglianu - Tuminu - Meria est presque sinistrée. Elle est notamment alimentée par le réservoir du Stullone qui contient, pour l’instant, seulement 10 000 m3 sur une contenance totale de 48 000 m3, soit seulement 20% de remplissage. Pour envisager l’été de manière plus sereine, il faudrait le remplir jusqu’à 25 000 m3 ou 30 000 m3, tout en maintenant les restrictions déjà prévues par le maire et le préfet, alors que pour l’heure, les forages sont au plus bas.

- Qu’allez-vous faire finalement ?
- La première mesure envisagée a été de se tourner vers le voisin d’Ersa et son potentiel appoint de l’Acqua Tignese. En 2002, une jonction a été faite entre Ersa et Ruglianu pour permettre un transfert d’eau d’environ 150 m3/jour. Nous avons, de cette façon, espoir de reconstituer une partie du stock. Cela pourrait ne pas suffire. C’est pour cela qu’en tant que concessionnaire, même si nous n’avons pas obligation d’alimenter les stockages, nous avons, au vu des maigres perspectives de recharge, provoqué, dès février, une réunion avec l’Etat et les communes concernées pour trouver des pistes et les accompagner techniquement. Parmi elles, la fourniture d’eau par tanker, de nouveaux forages et de nouvelles ressources à étudier, et, la fameuse solution éprouvée en 2002 : la pose sur le port de Macinaghju d’une unité mobile de dessalement de l’eau de mer avec un débit de 600 m3/jour.

- Cette option, qui semble avoir la faveur des élus, suscite pourtant des critiques ?
- Elle est une option pour le maître d’ouvrage qu’est la Communauté de Communes du Cap. Pour l’OEHC, je tiens à réaffirmer que le dessalement ne peut être que le recours ultime, et - j’insiste lourdement - , une réponse temporaire à une crise exceptionnelle. Et ce, pour de multiples raisons. D’abord, c’est extrêmement onéreux. Ensuite, cela déresponsabilise les populations. Enfin, donner aux Corses la mer à boire dans un parc marin, c’est-à-dire une aire protégée avec la question de la saumure à traiter, est la dernière des solutions alternatives à envisager, et seulement au pire de la pénurie. Je comprends les maires, anxieux à l’approche de la saison touristique, notamment sur Macinaghju qui accueille plus de 2000 personnes en été. L’OEHC participe activement à ce débat tout en essayant, dans le même temps, de reconstituer des stocks suffisants pour éluder cette option. Une nouvelle réunion se tiendra fin mars pour faire un état des lieux avec les élus et les services de l’Etat. D’ici là, il faut travailler à des pistes alternatives.

- Et, si ce recours, que vous qualifiez d’ultime, est acté ?
- La réponse incombera d’abord aux élus du Cap. Si, au final, prévaut l’option de l’unité de dessalement, le maître d’ouvrage serait vraisemblablement la ComCom. L’Etat et la Collectivité de Corse devraient alors soutenir le processus et l’OEHC accompagner techniquement le dispositif. Mais, je le répète, laisser penser que le dessalement serait une solution pérenne serait un très mauvais signal envoyé à la Corse. Quoi qu’il en soit, le Cap regorge de ressources. Une alternative de court terme requiert de prospecter les probables nappes souterraines, d’optimiser le stockage, de réaliser d’autres forages et autres captages de sources. L’avenir doit inciter les élus à persévérer la recherche de nouvelles ressources.
- Ce qui se passe dans le Cap peut-il arriver ailleurs en Corse ?
- Oui ! Les EPCI (Intercommunalités), avec le transfert de compétences, et les communes ont tout intérêt à prendre à bras le corps la problématique du changement climatique. L’eau est devenue un combat sociétal. Le 23 mars, le Comité hydrique se réunira en présence des deux préfets de Corse pour parler de la problématique de l’eau sur l’ensemble du territoire. C’est une première ! Le 26 mars, se mettra en place le Comité de bassin de Corse, c’est-à-dire l’assemblée de l’eau. Nous dévoilerons un premier jet des grandes orientations du Plan de bassin d’adaptation aux changements climatiques (PBACC). De manière parallèle, l’OEHC travaille sur son propre plan : Acqua Nostra 2050 qui sera proposé à l’Assemblée de Corse avant l’été. A un moment donné, les deux plans se rejoindront de manière transversale. L’objectif est de définir un schéma permettant de doter la Corse d’une sécurité hydraulique absolue d’ici à 30 ans. Face à la raréfaction de la ressource, les enjeux sont multiples : agricole, démographique et touristique. Tout ceci doit être pris en compte et cofinancé par tous les acteurs, y compris l’Etat. Dans 30 ans, la Corse comptera plus de 400 000 habitants, avec des centres urbains dépassant les 100 000 résidents.

- Que propose exactement le plan Aqua Nostra 2050 ?
- Ce plan, toujours en gestation, entend projeter la Corse dans les 30 années à venir, avec des actions de court, moyen et long terme. Il n’est pas uniquement centré sur la phobie du stockage, même si c’est essentiel, mais aussi sur l’optimisation des transferts de ressources entre les zones. Nous privilégions des réponses immédiates, opérationnelles et à moindre coût. L’OEHC a déjà engagé 60 millions € dans des opérations d’amélioration et de recalibrage des transferts et près de 15 millions € de travaux pour créer une autoroute de l’eau entre le Golu et le Sud de la Plaine Orientale. L’idée est d’augmenter les capacités : transférer, par exemple, 1 ou 2 millions de m3 par semaine contre dix fois moins aujourd’hui de zones nanties vers celles déficitaires en eau. Avec le PEI (Plan exceptionnel d’investissements) qui finance des stations de pompage importantes comme Alzitone et Peri, il faudra rénover, optimiser et même étendre ces maillages pour assurer l’irrigation des terres agricoles. L’enjeu est aussi de fournir l’eau potable à la population en prenant en compte une donnée démographique majeure : la Corse accueille 4000 personnes supplémentaires par an ! Ce jeu de transfert avec des interconnections et le maillage du territoire, couplé à une gestion plus rationnelle de la ressource, évitera, à mon avis, des dépenses inutiles et la construction de barrages supplémentaires qui demandent au moins 15 ans.

- D’autres actions de sensibilisation sont-elles prévues ?
- Oui ! Nous poursuivons des actions déjà en cours dans le cadre des PEI 3 et 4 concernant le rendement et la chasse au gaspillage. Les zones vulnérables, - Balagne et Extrême-Sud -, sont mixtes : l’eau des barrages de l’OEHC sert, à la fois, aux agriculteurs et aux collectivités, mais, comme ce sont des zones touristiques, la grande majorité des volumes sert à l’approvisionnement en eau potable des populations. C’est pourquoi notre action de sensibilisation et de responsabilisation de la gestion de l’eau en direction des filières du monde agricole se prolonge vers les collectivités et l’industrie touristique. Nous avons besoin que l’information soit donnée aux touristes par les compagnies maritimes et aériennes dès l’achat du billet, et relayée par les agences et offices, notamment l’ATC et l’ADEC, les professionnels du tourisme et les collectivités concernant l’utilisation de l’eau dans les espaces publics et les ports de plaisance. On met souvent en avant le poids de l’industrie agricole, mais il ne faut oublier que le tourisme représente en Corse 30% du PIB (Produit intérieur brut).

- Que pensez-vous de l’annonce du président Macron sur la tenue des Assises de l’eau dans l’île au cours du 1er semestre 2018 ?
- C’est la reconnaissance de notre travail et de notre lobbying vis-à-vis de Paris et de Bruxelles. J’ai l’intention de préparer au mieux ces Assises en réunissant au préalable les élus corses. Par ailleurs, nous avons des contacts avec le ministre de la transition énergétique et des députés européens pour intégrer l’Europe dans la solution, via un cadre insulaire méditerranéen. La Sardaigne et la Corse ont besoin d’une réponse particulière aux effets du changement climatique. L’insularité est un cadre confiné, sans grand fleuve, donc avec des ressources limitées. Les îles ont besoin d’un plan Marshall spécifique de grande ampleur, tout comme le pourtour méditerranéen.

- Le même président Macron n’a-t-il pas, dans le même temps, annoncé des coupes sombres dans le budget de l’Agence de l’eau ?
- Oui ! Le budget du 11ème programme de l’Agence de l’Eau marquera un coup d’arrêt, avec 25% de ressources financières en moins. C’est pour cela que je suis monté à Lyon la semaine dernière à la réunion de programmation pour défendre la ruralité corse qui a bien besoin d’un rattrapage historique. Par manque d’anticipation, les premiers effets palpables du changement climatique n’ont pas été suffisamment pris en compte. C’est la raison pour laquelle nous sommes en train d’élaborer Acqua Nostra, conjugué au PBACC. Cet objectif majeur recouvre l’ensemble du territoire insulaire, avec un focus particulier sur la ruralité. A ce titre, les élus locaux doivent initier, eux aussi, ce travail de long terme et contribuer à accélérer l’aménagement hydraulique des communes. Le changement climatique, l’augmentation des températures à horizon de 30 ans et le tarissement prévu des ressources en eau nous placent dans une nouvelle situation. Outre le repositionnement stratégique de cet outil d’aménagement qu’est l’OEHC en termes de compétences, de rôle et d’action auprès des collectivités, il est vital que la Corse engage, à l’instar de ce que nous initions, le combat sur le devenir de la ressource hydraulique en termes de maîtrise du bien commun, de gestion et de projets. L’autonomie hydropique reste, je le répète très solennellement, l’un des grands défis du 21ème siècle pour la Nation corse en chantier.

Propos recueillis par Nicole MARI.
 



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