L'édito de Jacques Renucci : "Le village idéal"

Pour l'occasion, ils avaient sorti les tambours et les trompettes préposés aux bonnes nouvelles : les dirigeants politiques, les responsables économiques, en osmose et jubilants, ont annoncé la mise en place d'un « village corse » à la Foire internationale de Marseille.
Aussi fiers que s'ils avaient établi la tête de pont d'une civilisation universelle au sein d'espaces voués à la barbarie ou mieux, s'ils avaient installé une base spatiale corse sur la planète Mars, ils ont détaillé l'envergure du projet, il est vrai prometteur.

Grâce à cette présence en un lieu de forte affluence, l'entreprise sous toutes ses formes, la création culturelle, l'artisanat, la gastronomie insulaires seront à l'honneur, se distinguant parmi les 1 200 exposants avec une « journée spéciale » le 23 Septembre.
Voilà assurément une opportunité qu'on a su ne pas laisser passer. Il y a sur ce territoire des savoir-faire, des prises d'initiative, des audaces positives, qu'ils serait dommage de laisser confinés à une diffusion restreinte. Que la Corse s'émancipe et s'ouvre à des horizons nouveaux, c'est une bonne chose et presque une nécessité.

Mais pourquoi appeler ce stand « village » ? Bien sûr, avec ses 1 500 m², il est peut-être plus étendu que certaines micro-communes de l'île et leur poignée de maisons ; bien sûr aussi, la structure de base du maillage insulaire est le village - dont ceux qui sont originaires ont au départ peuplé les villes - et la mesure autarcique de ses vertus et de ses travers...
Mais, dans la perception collective, le village a une identité contrastée, entre cocon protecteur et espace désespérant d'immobilisme. Les haines transgénérationnelles, les rancœurs démesurées, les faits divers sordides, les embrasements brutaux de violence font autant partie du paysage que la chaleur des rencontres, l'amitié et l'entraide, la solidarité face à une nature inclémente.

Il est bon d'offrir aux foules, même s'il est éphémère, le meilleur côté de la réalité, un village idéal en quelque sorte, la vitrine de ce qui devrait être. On ne construit pas une fiction, on élabore une quintessence. Les Corses de l'île viendront là déambuler dans une projection heureuse de leur absolu campaniliste. Les Corses de la diaspora se conforteront dans l'idée que l'île de leurs racines est le plus beau pays du monde. Quant aux autres, ceux qui ne connaissent rien de la Corse par eux-mêmes, ils se diront que le dénigrement systématique de l'île, qui occupe plus que de raison les médias continentaux, est particulièrement infondé.